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			 Le
			silence ouvrit grand ses bras ainsi que même le soleil s’y
			blottit. Combien de temps étaient-ils restés sans plus un mot,
			sans plus un geste ? Dans la douceur, la nuit unit toutes les
			ombres. Un petit clair de lune ondoyait quelques clartés dans la
			pièce. Quand il releva la tête plongée entre ses mains, le
			fauteuil était vide, la silhouette qui avait frappé à sa porte
			venait de déserter le fauteuil. Il alluma les deux petites
			lampes, vit les deux verres qui se frôlaient sur la table basse,
			la bouteille de niaule vide. 
			Tout
			était vide. Tout en un instant, toute une vie défilait devant
			ses yeux. Ses écrits lointains lui revenaient en mémoire, des
			photos oubliées s’accrochaient aux murs, mais ce que l’on put
			dire de lui, ici ou là, il ne savait l’imaginer.  Il se
			dirigea vers la porte toujours ouverte et, dans la nuit pleine, il
			n’aperçut que cette lumière lointaine à la fenêtre de Madame
			Bonnefoie. Il aurait voulu lui dire :
   -  Vous
			êtes comme ma mère, vous savez tout de moi, dites-moi qui est
			Chris, que se passe-t-il dans ma vie qui me bouleverse à ce
			point ?
  -  Entre
			Petit…
  -  Pouvez-vous
			m’aider à comprendre aujourd’hui, moi qui ait tellement voulu
			m’échapper d’hier ?
 
    - Assied-toi,
			ne t’inquiètes pas, elle dort là haut, je lui ai prêté ma
			chambre…
  -   Je
			ne voulais plus me poser de question, vous le savez bien !
  -   Ce
			ne sont pas les questions qui font les pas de la vie, c’est la
			vie qui nous met en question, c’est elle qui fait bouger notre
			corps, notre âme, notre cœur. La vie, vois-tu, quoi que nous
			décidions, a toujours quelque chose à évoquer et cela tant que
			nous respirerons.
  -  Elle
			dort là haut ?
  -  Elle
			est là haut...
  - Dois-je monter
			lui parler?
  -  Prend
			patience ! Tu as fuit les questions, alors donne-lui le temps
			de poser les siennes !
  
			 -
			Que veut-elle me demander ?   
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			- Elle
			t’a cherché longtemps, à présent elle ne détournera pas ses
			pas tant qu’elle et toi n’aurez compris à quoi vous
			ressemblez… 
			
			- Je
			ne ressemble qu’à l’exil… 
			
			- Peut-être
			est-elle un miroir qui t’offrira un chemin d’hier sur la route
			d’aujourd’hui… 
			
			- Un
			miroir, alors que j’ignore même son nom ? 
			
			- Un
			miroir à deux faces, qui sait… 
			
			Il quitta Madame
			Bonnefoie, sachant que la silhouette se reposerait en paix dans
			cette vieille maison pleine de sagesse. Il creusa, ce soir-là, à
			nouveau le chemin qu’il voulait impraticable, espérant
			pourtant, profondément en lui que Chris reviendrait et lui
			dirait, au moins, son nom.
 
  Son
chemin, quoi qu’il pensa, n’était plus impraticable, il entra
chez lui où la nuit avait déposée toute la fraîcheur d’un jour
de printemps à peine éclos. Il repoussa la porte, ferma la fenêtre,
rejoignit son fidèle fauteuil à demi éventré et dans la douce
lumière des deux petites lampes se surprit à se poser des
questions. Chris,
songea-t-il, c’est bien Chris, c’est bien elle avec ce visage si
frais, ses traits sans la moindre ride comme si le temps n’avait
eu, sur elle, aucune emprise. Dès qu’elle a franchi le seuil de ma
maison, je l’ai bien reconnue ! Qui me dira le contraire, moi
qui l’ai tant aimée ? Qui m’enlèverait ce bel amour d’il
y a … Quoi ? Vingt-cinq, vingt-six ans ?
  
 
	
	
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			   La nuit passa entière. Il n’avait quitté son
			fauteuil. D’écrits en photos sa mémoire ne cessait de se
			réveiller. Le sommeil posa sur ses paupières des rêves où les
			souvenirs d’autrefois vacillent comme des songes imprécis bien
			q’ils disent tant de choses. Les premières lueurs du jour ne
			vinrent à bout de son rêve. Il y restait blotti. Il s’y
			enfermait. Lorsque la porte s’ouvrit, il rêvait à voix haute :
   -   Qui
			me dira le contraire ? Je sais bien son nom, je l’ai tant
			épelé : Chris ! Qui me dira le contraire….
  -  Moi, dit la silhouette … Je ne suis pas Chris, je te l’ai dit…
   Il
se redressa dans son fauteuil, se frotta les yeux, à demi en dormi,
à demi éveillé, il la vit là, à nouveau, devant lui… Chris,
murmura-t-il ?
   -  Non,
Suzanne…
 
   - Moi, dit la
			silhouette … Je ne suis pas Chris, je te l’ai dit…
 
  
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			 Ce
			visage pourtant lui parlait tant qu’il en aurait renié son
			exil, qu’il se serait renié lui-même tant il était sûr de
			lui !
   -   Chris,
			dit-il… Oh pardon Suzanne ! Il faut que je fasse ma
			toilette, sans cela je ne sortirai pas de mon sommeil !
  -  Je
			vais descendre au ruisseau, viens m’y retrouver si tu veux! Elle
			tira la porte derrière elle.
   
			Il
			se dirigea, comme chaque jour vers la cuvette sous la pompe à
			eau. Devant le petit miroir il décida de se raser. Il activa le
			bras de la pompe tout en songeant :« Chris, Suzanne… »
			La cuvette déborda, l’eau fuyait sur le sol comme il avait fuit
			un jourquelque part dans sa vie. Qu’avait-il fuit ? Le
			savait-il lui-même ? Et puis, à présent, quelle importance
			cela pourrait avoir ? 
			 « Et
			revoilà, des questions, pensait-il ! » 
			Il
			s’essuya le visage, se frotta vigoureusement les cheveux et posa
			ses vêtements, tout éclaboussés, sur le rebord de la fenêtre
			au soleil. Il devinait, de là, la silhouette de Suzanne,
			assise près du ruisseau qui, sûrement, lui fredonnait, dans ses
			clapotis, une petite mélodie d’espoir. Les espoirs qu’elle
			portait en elle depuis si longtemps et qu’à présent elle
			voulait réaliser. Il s’habilla, retourna vers le petit
			miroir, essaya de mettre un peu d’ordre dans ses cheveux,
			respira profondément et se dirigea vers la porte. 
  Le
			chemin qu’il creusait lui parut presque absurde, il prit – sur
			la gauche – le sentier qui descendait au ruisseau.  Il
			s’assit près d’elle. Le ruisseau éblouit de soleil chantait.
			La vallée, à cet endroit, semait une paix intense. La paix
			propice aux confidences. La paix dont on ne trouve la route que
			lorsque le cœur a souffert, lorsque la vie nous a mordu,
			lorsque l’on a compris qu’elle seule est un bien précieux. Qui
			poserait la première question ? Qui dirait le premier mot ?
			Qui, dans cette paix, aurait un geste pour l’autre ?
   -   Veux-tu ?
			- Pourquoi ? Dirent-ils ensemble…
  -   Oh
			pardon, s’exclama t il !
  -   Non,
			non… dit-elle !
  -  Pour
			venir ici ton chemin a été long ?
  -  Je
			te l’ai dit, j’ai voyagé dans tes écrits, parmi des photos
			et ce que l’on m’a dit de toi, mais le plus difficile fut de
			me décider à venir… Cela m’a pris du temps…
  -  Qu’es-tu
			venue chercher ?
  -  Il
			fallait que je te rencontre, cela appartient à ma vie…
  -  Je
			ne suis guère important, tu sais ! Voici longtemps que je
			n’existe plus pour personne, à part Madame Bonnefoie, c’est
			moi qu’il l’ait décidé…
  -  Je
			sais… mais tu ne peux demander à quelqu’un qui t’aime de se
			renier lui-même !
  - Je
			ne demande rien à personne… Qu’es-tu en train de me dire ?
  -  L’amour
			crée des choses… Le temps les façonne… Quelque soit
			l’endroit où l’on vit si l’amour doit nous toucher, nous ne
			pouvons l’en empêcher…
  -  De
			quel amour parles-tu ?
  -  De
			celui que j’ai pour toi…
   
			Il
			la regarda. Son visage le touchait profondément. Chris, pensa t
			il ! Suzanne ! Le miroir a double face ! Madame
			Bonnefoie ! Le ruisseau murmurait les tendres beautés que la
			source, cachée dans la montagne, laissait venir, une à une,
			jusqu’à eux. 
  -  Suzanne…
  - 
			Oui ? 
			-  
			Donnons-nous le temps de nous apprendre… 
			Ils
			remontèrent par le petit sentier. Le soleil touchait le zénith.
			Elle le prit par le bras. Il la laissa faire. 
			Dans
			la maison, le fauteuil demi éventré, la table basse les
			accueillir. Un profond silence s’installa entre eux bien qu’ils
			savaient, à présent, qu’ils avaient beaucoup à se dire. 
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			 à suivre..... Copyright.Tous Droits Réservés par Alain Girard     
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Commentaires
Mais seront-ils se comprendre? Et doit-il rompre cette solitude choisie ou non ? ...
Merci Alain, mes amitiés, fanfan